samedi 25 août 2007

du côté de chez Fred # 1


LA FOLLE A SES CASSEROLES

De sont temps, au début des années 70, Zaza Napoli avait encore plein de copines ; des beaux brins de files un peu sur le retour, le genre Martine Carol plutôt que Marilyn, qui faisaient l’artiste de variété et levaient la patte dans des petits cabarets populaires où le bourgeois venait s’encanailler, des ladies-boys au cœur pur qui avaient travaillé aux colonies et soupiraient après le grand amour en lavant les caleçons de leur vieil amant boxeur noir à la retraite dans un meublé du côté de la Porte Champerret, des vipères du trottoir qui savaient défendre leur carré de bitume contre les gagneuses kabyles et se souvenaient avec nostalgie des trains pour militaires en partance pour la Lorraine avec la pipe à 10 francs. Leurs grandes sœurs finissaient leurs jours mercières à Limoges gentiment à la colle avec un ancien légionnaire tatoué, en marcel et rongé par l’apéro, qui leur filait une rouste de temps en temps histoire de leur rappeler qu’elles étaient presque comme des vraies femmes, ou bien on les retrouvait derrière le comptoir d’un bar PMU choucroutées comme Dora Doll, veillant au grand de leur petit commerce, respectables et silencieuses sur leur passé malgré les rumeurs qui prétendaient qu’on les voyait parfois traîner la nuit du côté de la caserne de Montélimar et de sombres histoires d’Alain Delon des faubourgs qui leur sifflaient leurs économies un soir de bringue. C’était avant et ce n’était pas du folklore, avant même la mode de l’opération au Maroc, la montée en puissance des drag-queens, l’apparition des trans intellos sur les plateaux télé, l’idée même qu’on puisse devenir député en Suède en gardant ses talons à aiguilles et son étui à Rimmel. Elles se consolaient de n’avoir pu devenir hôtesses de l’air ou vedettes de cinéma dans des rôles poignants de filles mères qui finissent au bordel en écoutant Zarah Leander ou Mistinguett, en lisant les mémoires à répétition de Coccinelle dans Confidences et en décollant à la vapeur le courrier adressé à la pimbêche du troisième, un mère de famille qui allait à la messe et ne les saluait pas dans l’escalier. Elles étaient braves, industrieuses et bavardes mais inquiètes aussi quand même en sentant qu’elles appartenaient à une espèce menacée et que la fameuse évolution des mœurs qu’elles voyaient poindre avec méfiance finirait bien par les laminer. En devenant star, alors que leurs déclin s’aggravait dangereusement, Zaza Napoli les a vengées in extremis d’une fin inéluctable. Il faut s’en souvenir quand les médias machistes s’apitoient avec leur habituelle affliction mercantile sur la disparition d’un personnage qui n’a apparemment plus rien de subversif ou que l’on entend certaines voix militantes clamer que l’héroïne superlative de La Cage aux folles fut le bon pédé des homophobes comme d’autres eurent leur bon juif avec le résultat que l’on connaît. Des folles justement nous n’en avions pas croisées beaucoup qui fussent sorties du placard quand Zaza Napoli s’est risquée sous les feux de la rampe avant de faire la belle au cinéma. Il y avait eu Genet, Cocteau, un peu de Carco et de Mac Orlan bien sûr, parfois mieux que bien, mais dans l’âpreté, la clandestinité et la rancune le plus souvent. Au cinéma c’était encore pire, nos chéries languissaient dans les coins en silhouettes ridicules juste bonnes à attirer les grasses moqueries quand elles n’étaient pas tout simplement absentes. Un clin d’œil affectueux chez Renoir, Gabin et Chevalier gay-friendly avant l’heure parce qu’ils n’avaient pas oublié le music-hall, des traits cruels chez Fellini qui en avait peur et rien chez Bergman et Antonioni les deux autres super-morts de l’été. On s’en tirait avec Jack Lemmon dansant le tango dans Certains l’aiment chaud mais enfin si la métamorphose était sans tricherie, les types qui se déguisent en filles ce n’est tout de même pas les folles.
Certes Jean Poiret et Michel Serrault étaient des amuseurs plutôt réac, bourgeois du boulevard comme il se doit – au fait Zaza ne fut-elle pas la brave gosse de Poiret autant que de Serrault, le premier inventant et mettant en scène ce que le second dynamitait avec son délire jubilatoire ? – mais aussi des gens d’excellente compagnie, surdoués, fins et tendres, attachés par toutes les fibres de leur métier et de leurs souvenirs à de vraies folles grimées en messieurs du beau monde, ces génies spirituels de la réplique et du jeu que furent Jacques Charon et Jean Le Poulain ou encore Robert Hirsch, merveilleux rescapé de cette élite de la comédie qui n’a jamais été remplacée. Zaza fait rire, c’est le moins et de bonne guerre, mais elle a été aimée dans tous ses atours avant d’entrer en agonie et tant pis pour nous si c’est par le miracle d’un fantasme d’hétéro-catho qu’elle continuera à beurrer éternellement ses biscottes dans un recoin de notre mémoire provisoirement heureuse.

Frédéric Mitterrand

© Têtu N° 125 – 09/07

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