vendredi 17 juillet 2009

Prince moi, je clève.

Freddie, ça boume ? J’ai essayé de te joindre mais je tombe toujours sur ta messagerie. Faut que tu m’appelles d’art d’art. J’ai dossier pour toi. Je sais que c’est les holidays, mais avant de gueuler, lis ce mail. Je veux bien qu’on m’en plombe une avec le Petit Robert si après avoir lu ci-dessous, t’es pas d’équerre la langue par terre, épaté de me connaître et trop à fond sur mon dossier.

Je te balance le truc brut de pomme, donc sorry ci je fais des fautes, avec ce putain dIphoNe faut avoir des doigts de bonzaiï pour viser les touches sinon tu mets des plombes à rédigé le truc. Or j’ai pas de temps à perdre, je t’explique mon urgence : tel que tu me voie je suis au fort de Brégançon pour one night. ON m’a forcé à prendre une journée de repos. Tu vois ce que c’est une journée de repos ? Je vais pas te faire un dessin, tu vois ce que c’est le machin où à peine tu fais la sieste y a Michael Jackson qui décède. C’est pourquoi je peux pas blairer les journées of. J’ai tourné comme un lion en rage ce matin à trouver quelque chose à faire. Rien, ma pauvre ! Que de l’humidité et du sale pétré partout. Ici, même le babyfoot il a rouillé ! Alors je me baladais, je tuais le temps, qu’est-ce tu veux faire dans une bicoque pareille ? En plus que cet endroit n’est guerre rassurant, pour causer Mitterrrand. Bref à un moment, je sais pas pourquoi, figure-toi que mon ballon part tout seul dans le couloir et roule roule roule jusqu’à une porte entrouverte. Là, il disparaît. Tout ça dans un silence complet. Moi, limite j’avais les chocotes.

Mais bon, comme c’est un superballon en cuir, je décide d’aller le récupérer. J’entre dans la pièce où mon ballon avait disparu. Et là, je sens comme une présence étrangère et totalement inconnu de moi, donc redoublement de chocotes. Et tout à coup je réalise que la présence étrange et totalement inconnus de moi, c’est des bouquins. Des étagères entières de bouquins, ma grosse. C’est-à-dire, pour te la faire courte, que j’avais atterri dans la bouquinothèque. Moi ! Dans la bouquinothèque ! C’est pas poilant !? Ah tu t’attendais pas à ça, hein, le culturiste ! Je te jure : y avait tellement un climat culture là-dedans que le petit vieux à barbiche de Fort Boyard aurait surgi devant moi à ce moment là j’aurai pas été étonné. Puur te dire. Mais alors le plus marrant, c’est quand je décide prendre un livre au hasard, ambiance pour voir si c’est des vrais ou des avec un DVD dedans. Et sur quoi je tombe en prenant un livre au hasard ? Tiens toi bien : la Princesse de Clèves, dis donc. La Princesse de Clèves en Livre de Poche ! Qu’est-ce que t’aura fait, toi ? Moi, j’ai ouvert. Première page, pof dédicace au feutre : «Pour François Mitterrand, de la part de sa… Princesse de Clèves.» Dingue, non ? Tu trouve pas ça dingue ? Ah moi ça m’en a bouchée une urne. Elle est pas décéded, la Princesse de Clèves ? Ouais, hein ? Mais alors si elle est décéded, comment elle a pu laisser un autographe à ton ayeul ? Ça doit pas être elle. Doit y avoir des descendants, nan ? En tout cas, ET LÀ ON EN VIENT AU PRINCIPAL, si y en a, des descendants, ils vont être contents ! Parce que qui c’est qui vient de se taper in integralo le bouquin sur leur ayeule, justement ? C’est moi ! Avoue que t’es sur le cul, Freddie. Moi, me taper la Princesse de Clèves. Eh, qui lu cru ?

J’ai adoré, figure-toi. Le pitch de ce bouquin est dément. Le coup de la nana qui pourrait chopé tout ce qu’elle veut, mais qui préfère la jouer ô-vertu-mon-meilleur-atout : respect. Elle est maso, mais respect. Intégrité maximale. Ah c’est pas demain la veille qu’on va la voir miauler sur sexypolis.com, celle-là. On peut qu’être ému par tant de retenue, non ? Et ça les gens la retenue ça les touche. Tu te rends compte que j’ai dit qu’elle me saoulait, la Princesse de Clèves ? Olalala quand je pense que j’ai déclaré en public que «j’avais beaucoup souffert sur elle». Olalalala la bourde… dire ça d’une nana qu’est tellement la décence faite femme que même par amour elle y touche pas au bâton enchanté ! Et moi j’arrive coucou c’est moi Nicolas le mec à Carla et ouais les potes la Princesse de Clèves j’ai beaucoup souffert sur elle. Oh le nase… ah c’est pas galant, Freddie. Ça chie du pipi. Mais c’est un peu la faute d’Albanel, aussi… elle me dit «La Clève, ouais, t’as raison on s’en tape». Je la crois, moi ! Freddie, faut pas qu’on recommence ces erreurs. Je compte sur toi : faut absolument que tu m’escortes à lire les trucs avant que j’en cause. Je te signale que là, j’ai honte. Sérieux, Freddie, ça me mine que j’ai destroyer l’œuvre de Madame de Lafayette en disant que j’y bitais quéquette, alors qu’en vrai je l’avais même pas lu et que quand je la lis je la trouve tip top. Ça fait le type athé des connaissances. Ça la fout mal, quoi, je dirige un pays, quoi, merde.

Non mais des fois c’était vraiment une crécelle, cette Albanel. Prends pas ça pour un carton jaune, Freddie, surtout que t’y peux rien, mais je te le demande : pourquoi je paie à prix d’or un ministre de la Culture s’il est même pas foutu de me refiler une fiche Clèves au point quand j’en ai besoin. C’est quand même pas sorcier de me faire des mémos, putain ! Elle avait qu’à me faire me faire un mémo en peu de mots, Albanel. Personne lui demandait de me dégobiller une Plêyade. Elle mettais juste : «Princesse de Clèves : tip top». Moi, ça me suffisait. Après, je brode. Mais Freddie, reconnais que, aussi fort que je sois, je peux pas broder sans trame. Même les mecs qu’ont brodé La Dame à la Licorne, il partait sur un caneva, eh la.

Bon, voici ma décision : tous les deux, toi et moi, Freddie, on va essayé des réparer les pots cassés. Ce que je vais faire : je vais trouver un moment à la rentrée pour glisser que j’aie changé d’avis sur la Princesse de Clèves, ambiance Mille sorry pardon c’était avant Freddie et j’avais pas compris la question. Tu saisis ? Je pense que ça peut marcher. Plus c’est gros, plus ça marche. Et puis ça m’étonnerait qu’on me mettre la blatte au court bouillon pour un simple revirement culturel. Sinon moi je vais leur causer aux journalistes : «Attendez les gars, vous avez devant vous le mec qu’a changé d’avis sur les usines de Lorrainne et qu’a foutu tout le monde en grève, et vous lui cherchez des poux sur la Princesse de Clèves ? Faut être pervers !». En plus que maintenant que je t’ai, j’ai mon joker Mitterrand-es-tu-là ? à leur foutre dans les dents.

De toute manière, ils auront même pas le temps de gueuler. Because vise mon plan : j’attends la rentrée et hop j’arrive et pof première occase je balance la Princesse de Clèves. Qu’elle est géniale, que faut que tout le monde la sache par cœur même les footballeurs, tout ça. Toutefois je suis pas si con : je la balance pas comme ça, genre le niais qui remonte sans cesse au filet avec son running gag. Non : je la balance en remix. Parce que là on arrive au corps de mon projet : je vais lui filer un de ces coups de jeune, à La Princesse de Clèves, tu vas pas y croire! A côté de comment je vais te la botoxer, la pucelle de Nemours, la tronche de Faye Dunaway c’est du plissé Miyaké.

Mon plan en cinq axes : Déjà, on vire le «Madame de» avant Lafayette. On est en litérature, bordel, on n’est pas au comité de Miss France. Faut trouvez autre chose à mettre avant, moi je propose «Galeries», pour rester frenchy. Mais si quelqu’un trouve meilleur, welcome. Ensuite, on vire Henry II. Je sais pas ce qu’il fout là, celui là, et puis je te le demande : à qui ça parle Henry II ? Cite moi s’il te plaît une seule personne de ta connaissance qui ait ne serait-ce qu’un buffet Henry II ? Cite moi une seule personne qui se soit jamais demandé qui qu’aurait bien pu voler le cheval blanc d’henry II ? Nobody, ma chérie. Et pourquoi Nobody ? Parce qu’on s’en bat les lobes ! En admettant qu’il est exister, le type est tombé aux oubliettes. A la place d’Henry II, je propose «Henry IV». Ça, au moins, c’est un people. Avec en plus un suspense style tout le monde sait que la mort l’attend (c’est bien lui, non, le roi tué en mangeant une poule au pot ? Ou je confonds avec Mazarin ?).

Ensuite, on vire les points virgule. D’où ça sort de foutre comme ça partout des points virgule ? Même Chevènement il met pas des points virgule ! Est-ce que je mets des points virgule, moi! Bon, je sais ce que tu va me dire : que ces points virgules sont classez monuments historiques. Eh ben si tu veux on les garde, mais pas dans ma Princesse de Clèves. On les mets ailleurs. Y a qu’à les foutre dans les contrats de qualif’. En tout cas je veux plus les voir. Ensuite, on vire quelques fautes de syntaxe que je comprend même pas comment La Fayette a pu en foutre autant dans un bouquin aussi petit. Attends, t’aurais idée, toi, d’écrire une absconcité telle que «il est vrai que vous me donnez de certaines apparences dont je serais content s’il y avait quelque chose au-delà». Eh, c’est Joe l’embrouille, La Fayette ! Je sais pas ce que cette femme fumait mais t’es d’accord qu’on lui rend pas service en laissant des coquilles partout dans son œuvre, non ?. Ensuite, on vire les mots qu’on comprend pas. Par exemple : «céans». Y a deux heures j’appelle Didier Barbelivien pour lui demandez la définition de «céans», et il me dit : «Ah céans oui je connais, ça veut dire "en ce lieu-ci".» Je sais pas si tu vois le cocasse du bazar : même Didier qu’est un lettré comme toi, quand il traduit «céans» il rame à la cuillère à café, obligé de me balbutier tout un patois. Donc, faut virer «céans» de chez Clèves. Ainsi que tous les mots qu’on comprend pas. Sauf quelques uns, je suis pas chien. On laisse un mot mystère, pour le fun. Des mots dont, en se sortant deux minutes les doigts, on peut déduire tout seul la signification. Exemple : «Connétable». Ça, ça va, on peut le laisser. Même moi j’ai compris tout de suite que c’était une marque de sardines.

Ensuite, bon ok on vire pas tout le côté chaste qui fait le sel du truc et qui m’a ému, mais on remet le bidule en crédible. Les temps ont changé. Par exemple, ok elle se fait pas Nemours, mais on peaufine. La première fois, elle se le fait pas. Ok, elle a sa fierté. La deuxième fois, elle se le fait pas. Bon, peut-être elle a bouffé de l’ail, donc ok. La troisième fois, elle se le fait pas. Mettons, elle ovule. Je te rappelle que c’était l’époque où les capotes étaient en parchemin, donc ok, j’admets, elle refuse de prendre le risque. Mais la quatrième fois, les gens ils vont pas comprendre. On va perdre des lecteurs. C’est pour ça je dis : si elle file pas dans le lit de Nemours, en revanche elle peut caresser l’idée, non ? Elle reste pure, ça oui. Mais bon on l’aurait en panty quelque part dans le roman sans révéler à l’avance à quel endroit du livre exactement, on créerait un teasing de folie. Tout le monde serait là à compulser le livre pour trouver la page du panty, ambiance «Où est Charlie ?». Buzz énorme. Qu’est-ce t’en dis ?

Et enfin, moi j’irais vers une happy end. Sans demander la lune à une fille qui n’a pas à être la yéyé du Byblos, qu’est-ce que tu dirais d’un petit baiser furtif ? Je te rappelle la dernière phrase du livre : «Sa vie, qui fut assez courte, laissa des exemples de vertu inimitables». La loose, avoue. Alors que vise un peu la fin à quoi je pense : «Leur nuit (eh eh), qui fut assez longue (eh eh), les laissa emboiter l’un dans l’autre. Pour que Nemours sorte : tapez 1. Pour que Nemours sorte jamais, tapez 2». Eh, un roman moderne, on a dit.

Voilà, mon chéri. Surtout va pas penser que je veux refaire le livre de fond en comble. Loin de moi cette idée. Je t’en ai informé dès le début : c’est tel quel qu’à moi le livre a plu. Sauf que je suis lucide. Je sais très bien qu’on va pas me considérer comme un modèle. C’est pas parce que moi ça m’émeut qu’une femme se refuse, que tout le monde va réagir pareil. Moi, une femme qui se refuse, ça me fait rêver j’y peux rien : elle est là toute mignonne, toute rouge, avec ses petites mimines crispées sur son soutif, son petit cadenas à son panty, à pousser des petits cris «Ciel ! Ciel !», et c’est ça qui doit être super excitant. Ouais monsieur, j’y crois à la probité. C’est pas parce que j’ai pas vu la vierge que j’ai pas la foi. Pourquoi tu crois que je pleurais sur mon Magnum au café en tournant les pages de ce La Princesse de Clèves ? Parce que ça parle à ma candeur.

Là, il est tard. Je propose qu’on aille se coucher. Mais demain, je te préviens, on met l’opé-Clèves en branle. Je vais aussi te demander de me faire une liste de tous les autres bouquins hyper importants qu’on pourrait remettre au goût du jour. J’ai déjà fait ma propre liste, mais elle elle of course à complètez : la chanson de Ronsard, les Semailles et les Moisson, en Saison à Denfert, Le roman de Roland, Les Misérables à Notre Dame, Les Misérables à Châteauvallon ? Voilà ! A toi de jouer, Freddie…

Sophie Fontanel

(c) Libération 16/07/09

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